vendredi 20 avril 2012

Si Klein avait vu ce bleu ... (Chronique 1 sur Jeantimir)


Si Klein avait vu ce Bleu…






Jeantimir, Coloriage-encre (non daté), « Les pompiers de St-Rémy-de-provence »


Si Klein avait vu ce Bleu d’encre non IKB*, relégué au stade de décorum et entâché par trois scènes banales, il aurait changé de couleur; Car le blasphème est total !

Mais Jeantimir n’a que faire de l’histoire de l’art. Ses rêves se concrétisent très simplement sur le papier. Au rebus les périgrinations intellectuelles. Superflu. L’artiste ne marche pas sur la tête. Il respire, observe, mange, dort ; Puis saisit son crayon, pinceau et dessine sans préméditation, d’un trait naturel. La courbe est heureuse _ car l’arrondi prévaut, et les personnages naissent, comme par enchantement. Les attitudes sont déjà bien campées et les expressions mi-figées mi-perdues. Le coloriage ravive chaque élément, cristallise la composition et apporte le volume. Très vite, la petite scène s’humanise. Signature apposée, œuvre terminée.

Mais Klein, du haut de son bleu paradis niçois, rougit de colère en découvrant avec stupeur plusieurs agents perturbateurs envoyés par je-ne-sais-quel-diablotin. Saperlipopette, quelle farce Jeantimir nous joue là ! Regardez plutôt. « Tu as tué ma dialectique! » Car la patte prosaïque s’est collée sans accord amiable.

Voici le récit détaillé de ce dessin-coloriage à l'encre que l’on pourrait nommé : « Pompiers foxtrot, infant garde-champêtre et être ovoïde ».

Première scène (sur le tiers haut à gauche)
Un œuf vermillon renversé, en vue transversale, griffé de jaune sur le devant avec un petit point juste au-dessus, et reposant sur deux disques bleu clair. Ajoutez au-dessus une ligne droite toujours vermillon, qui précède trois bustes à la coupe des années folles. Suggérez le volant et vous avez une farce indiscible. A première vue, ce ne sont que trois dames embarquées dans un bolide rondouillard. Mais si l'on focalise sur des points de détails, tout à coup : l'avant de l'automobile devient poisson, et l'accès à l'intérieur s'effectue par une échelle sinueuse et en volutes. Car ce sont «les pompiers de St Rémy de Provence », comme nous l'indique Jeantimir.

Seconde scène (sur le tiers à droite)
Loin d'être un simple narrateur de ses propres visions ou émotions via le prisme de l'enfance sublimée, Jeantimir métamorphose notre réalité en une divine comédie burlesque, pittoresque et délirante. Comme une toute simple surréalité salvatrivce. L'inconscient fait jaillir, telle une écriture automatique, un petit bonhome sphérique, à la géométrie terriblement simplifiée, tenant sur ses pieds palmés. D'adorables petits soleils en escargots pour ses yeux, alors que ses lèvres sont formées par un sentier aux tours et détours où nous aimerions errer. La cocarde républicaine et le tambour suffisent pour marquer notre personnage du sceau officiel. On entendrait même les trilles de notre garde-champêtre aux allures d'enfant impassible.

Troisième scène (sur le tiers en bas à droite)
Menu regard rosé ressorti de sa carapace oblongue. Sans identité connue, ce personnage attendrissant repose sur des pieds-supports comme fixés au sol. Kafka n'est pas loin. Doux être que l'on doit aimer parce qu'il vit et apporte une autre vision du vivant, de la beauté. Il est poésie.

Que faire de pareilles scènes monstrueusement indépendantes ? Aucun commentaire. Monsieur Klein, ne soyez pas terrorisé car Monsieur Jeantimir est un véritable artiste révolutionnaire ! Vous qui avez touché l'absolu de vos propres doigts, comprenez que vous êtes face à un énergumène poignant, épique poète aux scènètes pétries d'humanité.

Au final, Klein jette l'éponge, et d'un sourire en coin capitule devant cet imaginaire implacable. « L'air de rien, Jeantimir, tu as pris mon ciel. Mais je m'incline devant un seigneur. Vous avez gagné puisque je ne vois plus que vos personnages enigmatiques. Extatique sans tactique. Sauf celle peut-être du gendarme comme le chantait Bourvil de son pas de danse faussement gauche et au burlesque immensément efficace. »

Que faire de plus ! 

*L'IKB (International Klein blue) est un bleu outremer extrêmement saturé, mat et d’une absorption totale, résultat d’un an d’expérience effectué par Yves Klein (peintre et performer, 1928-1962) avec un chimiste. Breveté en 1960, il est, selon Klein,
« la plus parfaite expression du bleu », la définition picturale, la matérialisation de sa sensibilité individuelle entre étendue infinie et immédiate. « Les monochromes bleus » seront l’essence de la peinture monochrome du 20ème siècle. L’IKB incarnera la dialectique entre la matière et l’esprit, le physique et le spirituel, le temps et l’infini.

Jeantimir KCHAOUDOFF 
né en 1941, vit et travaille à Nogent-le-Rotrou (28)
- Galerie Artémise : http://www.artemise.net/-jeantimir-a7.html
- Galerie Artop : http://www.artop.fr/commande/critere.cgi?&makeframe=TRUE




Benoît Courcelles©, dec. 2010



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